Sonia Terk (Odessa, 1885 - Paris, 1979) a passé une partie de sa vie à l'ombre de son mari, le peintre Robert Delaunay. Critiques et historiens ont pris le temps pour mesurer la valeur artistique de ses recherches dans les arts appliqués... Celle qui pouvait combiner les carrés de Mondrian, les zigzags de Brancusi et les arabesques de Matisse n'a acquis une stature de créatrice qu'au début de ce siècle, quand la Tate, puis le Musée d'Art Moderne de Paris lui ont enfin consacré de grandes expositions monographiques. L'œuvre de Sonia Delaunay est pourtant le miroir en quadrichromie de ce que furent les avant-gardes de l'entre-deux-guerres. Le Musée Thyssen lui concacre une rétrospective en 207 œuvres. De la toile au galon de tissus imprimé.
SONIA DELAUNAY. ARTE, DISEÑO Y MODA
SONIA DELAUNAY. ART, DESIGN ET MODE
jusqu'au 15 octobre, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid
Sonia Delaunay, la pionnière de l'abstraction, voyait l'art en toutes choses. Et toutes ces choses rendent grâce à son art global, qui ne distingue pas la peinture des arts appliqués, souvent relégués au rang des petites mains. La liberté, fluide, se déroule dans cette vie dévorée d'art. Gauguin et les Fauves sont là mais elle en fait autre chose, qui lui ressemble. La vie moderne bat son plein dans ce parcours qui s'inspire des foules du boulevard Saint-Michel et des publicités des façades.
Sonia Delaunay, Nature morte, voyages lointains, 1937, gouache sur papier, 26,5x27, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, Madrid, Dépôt temporaire de D. Pedro et Dña Ary Altamiranda, Panama, 2010 ©Pracusa 2017633
L'artiste est en Espagne quand éclate la guerre de 1914. Elle y reste, réfugiée, et se passionne pour le flamenco et les marchés. Elle rentrera à Paris, fera plusieurs allers-retours... Art, design et mode. L'exposition réunit des pièces prêtées par des collections du monde entier, et met l'accent sur le travail de l'artiste durant son séjour à Madrid, où elle avait installé son atelier. La jeune artiste touchait alors à tout : décors de théâtre, décoration d'intérieur, stylisme (elle créait des tenues spectaculaires qui intéressaient aristocrates et artistes). Madrid fut pour Sonia un terrain d'expérimentation qui lui permettra de se considérer comme une créatrice multidisciplinaire capable d'explorer des supports et des techniques différentes, jusqu'à la peinture.
Avec son mari, le peintre Robert Delaunay, elle défend les fondements d'un art nouveau. En 1912, ils inventent le "Simultanéisme" qui repose sur le pouvoir constructif et dynamique de la couleur. Une aventure atistique basée sur les contrastes et la dissolution de la forme à travers la lumière. Ils développeront leur théorie comme une manière de comprendre l'art par l'importance des combinaisons chromatiques.
Sonia Delaunay, Figurines pour le ballet Cléopatre, esquisses pour quatre châles, 1918, aquarelle sur papier, 31x9,5 chacun, collection privée ©Pracusa 2017633
En 1924, Sonia installe l'atelier Simultané dédié à la création textile, dans son appartement parisien. Et elle est fréquentée par l'avant-garde internationale. En 1925, elle crée sa maison Sonia. Cette année-là, Gloria Swanson porte son manteau géométrique. L'art se cache dans les détails.
La commissaire de l'exposition Marta Ruíz del Árbol, conservatrice du Thyssen, a voulu montrer comment, à Madrid, Sonia Delaunay est devenue une des peintres les plus importantes de l'avant-garde, participant à la naissance de l'abstraction tout en appliquant son idéal artistique à la vie quotidienne. Peintures, dessins, gouaches, livres et photographies historiques forment un parcours aux côtés de parasols, manteaux, vestes, robes, échantillons de tissus...
Sonia Delaunay, Dessin 965, 1930, dessin avec palette de couleurs, gouache et crayon sur papier, 21,6x24,2 cm, collection privée, ©Pracusa 2017633, photo ©Private Archives
L'étape madrilène, dont on célèbre aujourd'hui le centenaire, fut pour Sonia une période d'expérimentation intense et de grande liberté, qui laissera une empariente sur tout son travail ultérieur. L'exposition du Thyssen souligne l'importance de ces séjours espagnols dans la vie artistique de l'artiste et, partant, dans l'histoire de l'art du 20° siècle.
Même si il reste peu de traces de ce passage, les coupures de presse, les photographies donnent une idée de la répercussion sociale de son travail. Les nombreux croquis de mode et quelques pièces rares illustrent ce que la presse madrilène de l'époque appelait "le style Sonia".
Sonia Delaunay, Dubonnet, 1914, peinture à l’eau sur toile, 61x67, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, Madrid
Dans la dernière partie de l'exposition, consacrée aux années 1920, on se retrouve à Paris, où Sonia se diversifie... Tout d'abord en ouvrant sa propre maison de couture et de décoration, où elle applique à la création textile le nouveau langage artistique qu'elle a inventé avec son mari : étoffes, tissus, tapis... Elle signe un contrat avec les grands magasins néerlandais Metz & Co, qui porte sur la création de motifs pour des tissus : une relation commerciale qui durera jusque dans les années 1950, et qui fera connaître son travail au grand public. Parallèlement, elle poursuit avec les dadaïstes et les surréalistes un travail artistique à travers des projets théâtraux, cinématographiques, comme le film Le P’tit Parigot (1926), de Le Somptier.
En tout, 200 pièces provenant, entre autres, du Centre Pompidou, de la Bibliothèque Nationale de France, du Musée de la Mode de Paris, du Musée Reina Sofia et de collections privées : peintures, créations de haute couture et textiles, dessins publicitaires, d'intérieur et de mode, films... ainsi que d'innovantes collaborations avec poètes et metteurs en scène. L’exposition souligne le paradoxe d’une œuvre profondément inscrite dans son temps et la constance des recherches formelles, la quête de synthèse des arts, tellement atemporelle.
Sonia Delaunay, Robes simultanées (Trois femmes, formes, couleurs), 1925, huile sur toile, 146x114, Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid ©Praccusa 2017633
SONIA DELAUNAY. ARTE, DISEÑO Y MODA
SONIA DELAUNAY. ART, DESIGN ET MODE
jusqu'au 15 octobre, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid