
Puerta del Sol
le centre du centre
On pourrait la snober, avec ses boutiques d'éventails bon marché, ses quatre Corte Inglés, ses mégastores consacrés au foot, ses cinémas tape-à-l'œil, ses bus à impériale et ses Mickeys vivants... Mais la zone de la Puerta del Sol a des choses à nous dire...
On peut commencer la visite de Madrid par la Puerta del Sol, centre géographique de Madrid. Et ne plus y revenir, sauf le jeudi soir (voir plus loin). C'est le Madrid du tourisme et du shopping de masse.
Mais. Ses harmonieuses façades qui forment son arc de cercle caractéristique (conçu par les architectes Lucio del Valle, Juan Rivera et José Morer entre 1857 et 1862), sont dominées par la belle publicité de Tío Pepe. En face, la Casa de Correos (Postes), construite en 1768 par l'architecte français Jaime Marquet, est actuellement le siège de la Présidence de la Communauté de Madrid. Sous Franco, c'était celui de la Direction Générale de la Sécurité de l'Etat, ses geôles ont été témoins de longues séances de tortures et d'exécutions sommaires.
Et il y a les commerces de tradition - et de qualité - comme la pâtisserie La Mallorquina, avec sa file du dimanche matin, la Casa de Diego qui propose le plus vaste éventail d'éventails et de mantilles d'Espagne...
Tío Pepe
Un maire de Madrid l'a comparé à la Tour Eiffel. En 2011, il a disparu de son toit, Appel ayant acheté l'immeuble pour sa boutique avait déboulonné l'icône publicitaire qui dominait la Puerta del Sol depuis les années 1950. Steve Jobs n'a pas pris la mesure de ce panneau qui a acquis le statut de patrimoine protégé : à travers une pétition (... cette enseigne a illuminé les douze coups de minuit du jour de l'an, les défilés des rois mages, les rassemblements des indignés, et a fourni le cadre de films, de cartes postales, de livres. Elle fait partie du paysage de Madrid et vous ne pouvez pas l'éliminer), 28.000 Madrilènes ont exigé et obtenu, après trois ans, la réinstallation du panneau, juste en face, et envers et contre une ordonnance de la Mairie qui interdit ce type d'affiches sur les façades de la ville. La marque emblématique du groupe González Byass-Jerez, spécialisé dans la production de spiritueux, peut se frotter les mains.


Casa de Correos
La "maison de la poste", construite dans un style baroque (1768) par l'architecte français Jacques Marquet, accueille actuellement le siège de la présidence de la Comunidad de Madrid.
Son élégante façade est une composition de pierre de Colmenar et de briques, plus un balcon central surmonté d'un fronton décoré par l'écusson royal. Nous, on lui préfère l'alignement en arc-de-cercle des bâtiments d'en face.
Son clocher date du 19°, il est connu de tou·te·s les Espagnol·e·s pour les 12 coups de minuit du Nouvel An, qui attirent chaque année des milliers de fêtards sur la place tandis que le reste de la population suit religieusement la cérémonie en avalant des raisins devant la télé, qui est sur place, bien sûr.
Pendant la Dictature, Franco y avait installé la Direction générale de la sécurité. En plein cœur de la capitale. Pour que les Madrilènes entendent bien les cris des opposant·e·s qui passaient par ses cellules et ses salles de tortures.
Devant l'entrée, le kilómetro cero (kilomètre zéro)), signalé par une plaque dans le sol : le point de départ des six routes radiales, construites au 18° siècle, qui irriguent l'Espagne.
la place
La Puerta del Sol, c'est avant tout une place piétonne (en partie). De cette vaste demi-lune partent plusieurs rues importantes : la calle Preciados, principale artère commerçante de la ville; la calle de Alcalà, imposante et magnifique avenue bordée de palais, d'églises; la calle Mayor, qui conduit à la place du même nom.
Si elle est dominée par la statue équestre de Charles III, c'est devant une autre sculpture que les touristes aiment se selfier : celle de L'Ours et l'Arbousier, posée là en 1967, comme un des symboles touristiques de Madrid.






L'ours et l'arbousier
Point de rencontre tant pour les locaux que pour les touristes, cette sculpture de bronze de Navarro Santafé, vissée depuis 1967 aux pavés de la Puerta del Sol, est un des emblèmes de la ville, l'ours et l'arbousier font même partie de ses armoiries.
L'ours était un habitué des lieux au Moyen Âge, pas étonnant qu'il figure - seul - sur l'écusson de Madrid. Un litige opposait le pouvoir civil et l'église, à propos du contrôle des pâtures et des forêts madrilènes, jusqu'à ce qu'en 1222, on trouve enfin un accord : les premières deviendront propriété du Chapitre, et les seconds celle du conseil municipal. Pour sceller l'accord, on modifiera les armoiries de la ville, qui arboreront un ours s'appuyant sur un arbousier.

La Mollorquina
Probablement la mieux située de Madrid... Et une de ses plus anciennes pâtisseries. La Mallorquina est aussi devenue une attraction touristiques de plus de la Puerta del Sol. Elle reste cependant une référence pour les Madrilènes.
L'assortiment est impressionnant, le comptoir grouillant et le personnel élégant. Les palmiers enrobés de chocolat, les napolitanas chaudes, les brazos de gitano (bras de gitan) y sont les meilleurs de la ville.
La Mallorquina fut fondée 1894 par des familles de commerçants associées, Balaguer, Coll et Ripoll, qui exploitaient déjà un établissement rue Jacometrezo, et qui ont compris que les travaux de la Puerta del Sol rendraient l'emplacement exclusif. Ripoll était de Majorque, d'où le nom de la maison.
Dès son ouverture, la Mallorquina sera un endroit chic, les serveurs parlent français, on y croise artistes, personnalités, membres de la famille royale. La famille Ripoll, demeurée unique propriétaire, a vendu après la Guerre civile.
La décoration et l'ordonnancement actuel de la boutique et du salon datent des transformations de 1960. Aujourd'hui, c'est la troisième génération des familles Quiroga et Gallo qui régente la maison.

Statue équestre de Carlos III
On dit de Carlos III, qui a régné sur l'Espagne de 1759 à 1788, qu'il fut le meilleur maire de Madrid. Le roi a en effet redoublé d'efforts pour moderniser la ville. Le Prado, conçu comme un musée des sciences naturelles, l'élargissement des boulevards du Prado, les fontaines de Neptune, Cibeles et Apollon... c'est lui.
Elle a l'air d'une antiquité mais cette sculpture date de 1993. Le projet date de bien plus loin, un hommage en forme de statue que Carlos III voulait rendre à son père et qui ne vit le jour que deux siècles plus tard. Il parait qu'elle contient des microfilms portant des messages des Madilènes, aux archéologues du futur.
boutique
Casa de Diego
Vu que la boutique est en plein passage touristique, sur la Puerta del Sol, on se dit d'abord que c'est une échoppe à gogos... Mais pas du tout ! Ici, on vend les plus beaux éventails d'Espagne ! Et l'éventail, par 45 degrés, c'est un accessoire utile. Et élégant.
La maison vend tout ce qui entre dans le cliché de l'Espagnole : des mantilles pour quand on va chez monsieur le Curé aux castagnettes quand on veut se lâcher...
Fernando de Torre a ouvert sa première boutique-atelier en 1823, dans la rue del Carmen, juste à côté. En 1858, son neveu Manuel de Diego de Torre, qui hérite de l'affaire, déménage à la Puerta del Sol. Depuis, la famille assure la fabrication, la vente et la réparation d'accessoires de première qualité, pour dames et messieurs : parapluies, cannes, voilettes, mantilles, peignes, parasols...
La Casa de Diego est une des dernières maisons artisanales dans le domaine des accessoires typiquement espagnols. Ses produits sont exclusifs. Elle a fourni les maisons royales du monde entier, y compris bien sûr celle des Bourbons d'Espagne. Don Arturo Herandi de Diego a dessiné l'éventail que portait à son mariage doña Letizia Ortiz. La maison travaille aussi régulièrement pour le cinéma.


La récupération de la mémoire historique
En 2006, le Congrès espagnol adoptait enfin la "Loi pour que soient reconnus et étendus les droits et que soient établis des moyens en faveur de ceux qui ont souffert de persécution ou de violence durant la Guerre Civile et la Dictature." Deux ans plus tard, Mariano Rajoy annonce : "Pas un seul euro du Trésor public pour récupérer le passé." (20 minutos, 22.02.2008)
Depuis le milieu des années 1990, la vague mémorielle submerge la vie politique, des voix s'élèvent pour réclamer un retour critique du pays sur son passé et refuser la vision de la Guerre Civile comme un conflit dont tous les Espagnols seraient également coupables. Et pour exiger la condamnation officielle du régime franquiste et la reconnaissance de ses victimes.
Derrière cette loi, il y a pour des milliers de familles l'espoir de retrouver leurs morts, les identifier et leur offrir une sépulture. Et pour d'autres, l'espoir de retrouver leur enfant volé...
Tous les jeudis soir, une poignée de manifestants, pour la plupart âgés, se réunissent pour exiger l'application de cette loi fondamentale pour la réconciliation. Et ils sont ravis d'accueillir des étrangers dans leurs rangs !
manifestation tous les jeudis soir, depuis 2010, Puerta del Sol.
Autour de la Puerta del Sol
La Puerta del Sol, centre géographique de l'Espagne et de Madrid, est aussi au centre de plusieurs rues qu'il faut arpenter pour leurs richesses architecturales, les commerces traditionnels ou contemporains qu'ils recellent.
consommation
calle de Preciados
Cette rue sans beauté et sans charme est l'une des artères les plus vivantes - grouillantes, même - de la capitale espagnole, un chapelet de chapelles de la consommation. Plusieurs vitrines de la chaine de grands magasins El Corte Inglés (sorte de Galeries Lafayette), fnac, Zara et quelques boutiques indépendantes...
Preciados est la cinquième rue la plus chère au monde en termes de loyers.
Les frères Preciado, sortes d'inspecteurs des commerces au 15° siècle, lui ont donné leur nom. En 1943 Pepín Fernández y ouvre le premier centre commercial madrilène, les Galerías Preciados, qui seront remplacées par la Fnac. En 1973, elle devient la première rue piétonne de Madrid.
Dans sa partie la moins courue, le café Varela vaut le déjeuner, un restaurant emblématique qui a pignon sur rue depuis le 19° siècle.
Enfin, dans sa voisine la calle del Carmen, se trouve la loge de Doña Manolita, qui vend des billets de loterie... gagnants. En tout cas, les longues files semblent nous dire que les Madrilènes y croient.


Plaza Canalejas
Cette petite place circulaire, asphyxiée par la circulation, vaut le crochet, si vous allez par exemple de Cibeles au Palais Royal. C'est un carrefour, d'ailleurs autrefois appelé place des Quatre-Rues, à l'architecture début 20° : la maison Allende (1916-1920) construite par Leonardo Rucabado, avec son balcon en bois; le bâtiment Meneses (1915), de style éclectique, dû à José María Mendoza et José de Aragón; le bâtiment de l'ancienne Banque hispano-américaine (1902), signé Eduardo Adaro.
Elle a pris le nom du premier ministre José Canalejas, assassiné en 1912 par un anarchiste, sur la Puerta del Sol voisine.
Passez par la jolie confiserie "La Violeta", au numéro 6, juste pour acheter des violettes.
Teatro Eslava
D'après le guide Lonely Planet, "cette vénérable discothèque madrilène installée dans un somptueux théâtre du XIXe siècle est toujours bondée et toujours ouverte. La musique et la clientèle sont plutôt éclectiques, mais les files d’attente éternellement longues. L’endroit est fréquenté par les habitants et les touristes, et parfois par quelques famosos (célébrités)."Une légende raconte que le fantôme du dramaturge Luis Antón Olmet hante les lieux, mais vous ne le verrez pas, il attend toujours la sortie du public. Olmet a été assassiné en 1923, alors qu'on jouait une de ses pièces au Teatro Eslava, par un rival amoureux.Le Joy Eslava (autre nom donné au lieu) est inauguré en 1871 comme salle de concerts. Il fait partie de l'histoire culturelle de Madrid, on y a donné des milliers de spectacles de tous genres, de la zarzuela (l'opérette madrilène) au théâtre de García Lorca et Valle Inclá. Depuis 1981, sa programmation voyage entre concerts et soirées dansantes. Durant la movida, c'était un des spots de Pedro Almodóvar.C/ Arenal 11



Casa Palazuelo
C'est encore un joyau que nous devons à l'architecte Antonio Palacios (Cibeles, Círculo de Bellas Artes...). Et c'est un joyau préservé des hordes de touristes qui se selfient à trois mètres de là, devant l'Ours et l'arbousier.
Touché par les ondes de l'École de Chicago, Palacios construit en 1919 une des premières galeries commerçantes de la ville. Le promoteur Demetrio Palazuelo ne veut pas que la façade éclipse l'intérieur. Palacios accorde donc un soin particulier à un escalier aussi monumental qu'élégant, inondé par la lumière naturelle donnée par une splendide verrière. Tout autour, plusieurs étages de galeries articulées tout en rondeurs, en courbes convexes et concaves, d'un blanc virginal.
Cet espace, aujourd'hui occupé par des bureaux qui n'ont pas saccagé l'ensemble, est toujours quasi désert, et la visite dans le silence donne l'impression qu'on est entré par erreur ou par effraction dans un lieu privé, ou dans une époque d'autres beautés, intactes. Un moment précieux.
c/ Mayor 4

Palacio de Gaviria
L’architecte Aníbal Álvarez Bouquel a construit ce palais (1847) pour le banquier Manuel Gaviria y Douza. C'est l'un des plus luxueux de son époque, aux influences néoclassiques, à l’image des palais italiens de la Renaissance. On adore les fresques du plafond de la salle de bal, une œuvre de Joaquín Espalter y Rull.
La reine Isabelle II d’Espagne l'a inauguré en 1851, et il a défrayé la chronique pour les fêtes qui s’y tenaient. De 1991 à 2011, le bâtiment a abrité une discothèque. Après quelques années d’abandon, il a rouvert en 2017 pour se consacrer à de grandes expositions.
c/ Arenal 9, Madrid