Lisbonne, 1925 : un café, un peintre, et la modernité en fresque · Almada Negreiros Auto-Retrato num grupo
- Vincent
- 15 août
- 4 min de lecture
En 1925, Almada Negreiros se peint dans un café lisboète, entouré d’amis artistes et penseur·ses. Près d’un siècle plus tard, ce tableau-monde traverse la frontière pour s’installer au Reina Sofía, à deux pas du Guernica.
Œuvre monumentale par sa composition comme par son geste, Auto-Retrato num grupo condense toute l’énergie de l’avant-garde portugaise - collective, insaisissable, furieusement vivante. Et célèbre 50 ans de démocratie.

© Carlos Fernando Esteves Azevedo / CAM – Centro de Arte Moderna Gulbenkian, Lisboa
Il y a des tableaux qui racontent une époque. Il y a ceux qui racontent un endroit, une conversation, une atmosphère. Auto-Retrato num grupo, peint par José de Almada Negreiros en 1925 pour décorer le Café A Brasileira Lisboa, fait partie des deux. On y voit l’artiste portugais entouré de figures de son temps. Un autoportrait, donc. Mais à plusieurs. Une façon de dire que l’avant-garde n’est pas une affaire de solitude géniale, mais d’amitiés électives, de cafés bruyants, de mots échangés et d’idées qui s’enflamment entre deux verres.
Almada Negreiros Auto-Retrato num grupo : une fresque de l’avant-garde portugaise
Ce tableau, aujourd’hui prêté par le Centre d’Art Moderne Gulbenkian, est visible jusqu’à la fin de l’année au Museo Reina Sofía, dans une salle voisine du Guernica de Picasso. Ce n’est pas un hasard. Sa présence marque le point final du programme “Portugal–Espagne : 50 ans de culture et de démocratie”, initiative conjointe des deux pays pour célébrer, par l’art et la mémoire, les chemins parallèles qu’ils ont pris vers la liberté. Montrer Almada aujourd’hui, c’est réactiver une certaine idée de l’Europe, où les artistes traversent les frontières avec leurs contradictions, leurs rêves et leurs coups de pinceau. Art et démocratie.
Auto-Retrato num grupo : une fresque moderniste au café A Brasileira
Une scène de café. Une atmosphère feutrée mais électrique. À gauche, l’artiste lui-même, José de Almada Negreiros, en costume sombre, regard franc. À ses côtés, la danseuse et actrice espagnole Júlia de Aguilar, l’actrice Aurora Gil et le scientifique Francisco Nazareth. Ce tableau fait partie d’un ensemble de peintures murales réalisées en 1925 pour le mythique café A Brasileira, au cœur du quartier du Chiado à Lisbonne. Un lieu où se croisent artistes, écrivains, rêveurs de modernité - parmi eux, un certain Fernando Pessoa.
L’œuvre ne se contente pas de figer une époque. Elle raconte une manière d’être au monde, un esprit de groupe, une avant-garde qui se vit au quotidien, dans les cafés, les rues, les revues. Un autoportrait, oui, mais collectif : celui d’une génération qui cherche à tout réinventer.
Almada Negreiros, entre avant-garde et contradictions
Né à São Tomé en 1893 et mort à Lisbonne en 1970, Almada Negreiros est un des grands noms de l'Art moderniste portugais. Un artiste total : peintre, écrivain, scénographe, typographe. Mais aussi une personnalité complexe, parfois déroutante. Très tôt, il se positionne dans la rupture : adhère au futurisme et s’impose comme figure de l’avant-garde radicale, en guerre contre le conservatisme bourgeois.
Pourtant, l’homme aux élans rebelles collaborera plus tard à des projets du régime autoritaire de l’Estado Novo. Contradiction ? Opportunisme ? Ambivalence assumée ? Almada cultive le paradoxe, et c’est aussi ce qui le rend passionnant.

Lisbonne, café A Brasileira
Une parenthèse madrilène : 1927-1931
En juin 1927, Almada s’installe à Madrid. Il y vient pour une exposition organisée par La Gaceta Literaria d’Ernesto Giménez Caballero. L’Espagne des années 1920 est un terrain d’expérimentation, où l’avant-garde palpite dans les marges comme dans les salons.
Le 1er juillet 1927, il prend la parole au Ve Congrès Latin de la Presse, au Palais du Sénat. Il y défend une idée alors audacieuse : une union culturelle entre l’Espagne et le Portugal, “union de paix et de culture, au service du progrès des deux peuples”.
Pendant quatre ans, Almada vit à Madrid. Il s’y immerge pleinement : illustrations de livres et de revues, décors de théâtre, expositions, fresques, spectacles de lanterne magique. La ville est pour lui un laboratoire artistique.
Les cafés, lieux de culture vivante
À Madrid ou à Lisbonne, Almada fréquente assidûment les cafés littéraires, véritables foyers d’ébullition intellectuelle. À Madrid : le Café Pombo de Gómez de la Serna, le Café Zahara, la Granja El Henar. À Lisbonne : le Brasileira do Chiado, où se mêlent poésie, politique et utopie autour de Pessoa, Almada et les autres.
Le tableau présenté ici est un fragment de cette vie artistique collective, de cette époque où penser, créer, boire un café et refaire le monde faisaient partie d’un même geste.
Portugal-Espagne : 50 ans de culture et de démocratie
Cette œuvre est exposée dans le cadre du programme Cultura Portugal, porté par l’Ambassade du Portugal en Espagne, en partenariat avec l’Action Culturelle Extérieure. En 2025, le programme s’inscrit dans une célébration conjointe des 50 ans de démocratie au Portugal et en Espagne - initiative née lors de la dernière rencontre bilatérale.
Un hommage à la culture, non comme décoration de la démocratie, mais comme l’un de ses fondements essentiels. Et un rappel que les artistes, comme Almada, en sont souvent les témoins les plus lucides… et les plus contradictoires.
Le tableau Auto‑Retrato num grupo (Pintura para o café “A Brasileira” do Chiado, Lisboa) de José de Almada Negreiros est actuellement exposé au Musée Reina Sofía de Madrid. La toile est visible jusqu’au 31 décembre







Commentaires