Parfois, dans ce blog, nous invitons des amis, quand ils nous parlent de Madrid. Africa Gordillo est journaliste à la RTBF, et sur FB, elle chronique, irrégulièrement, ses lectures. On aime bien ses petits textes : ramassés, spontanés, efficaces et dynamiques. Dans celui-ci, Africa nous parle d'un récit autour d'une œuvre qui n'aura jamais fini de nous émerveiller : Guernica, de Pablo Picasso.
Et pour l'occasion, nous re-publions une ancienne chronique, à nous, sur le chef-d'œuvre.
Guernica 1937, d'Alain Vircondelet
par Africa Gordillo
Je m’attendais à découvrir l’histoire du tableau dont Picasso ne voulait rien dire. "Le taureau est peut-être (juste) un taureau"... Œuvre dont la naissance a été photographiée par Dora Maar, étape par étape. Processus créatif et rare, intéressant à découvrir. Mais Guernica 1937 relate surtout l’histoire de Picasso et de Dora Maar, avant que le chef-d’œuvre soit peint. Et après. La fiction se met au service du réel, l’interprète. J’y ai découvert un Picasso génial mais narcissique et un Pablo égocentrique et tyrannique (un comble même si ce n’est pas une surprise)... et quelques clichés au passage quand l’auteur ne peut s’empêcher de comparer "le maître" au taureau pour qualifier sa relation avec Dora Maar. Certes, Picasso l’a peint mais quand-même...
Le taureau... dur d’y échapper quand on est espagnol. Les références de puissance, dans la sexualité notamment. Soit. Dora Maar, elle, est artiste, peintre, photographe. Une personnalité complexe qui a sombré dans l’exil. Pas un exil lointain, non. Un exil dans son propre corps, dans sa propre vie. Elle ne se remettra jamais de sa rupture avec Picasso et s’isolera de longues années durant dans une maison offerte par Picasso à Ménerbes. Jusqu’à sa mort. Elle assistera de loin au retour de Guernica au pays, après la mort de Franco. Pas Picasso.
Photo : Joaquin Cortés / Roman Lores
Guernica ::: Pablo Ruiz Picasso ::: 1937 ::: huile sur toile, 350x777cm ::: Museo Reina Sofía, Madrid
Picasso avait vu les photos du petit village basque de Guernica après le bombardement intensif par les avions nazis, à la demande de Franco. Un massacre d'une sauvagerie rare.
Quand on lui demanda la signification de Guernica, Picasso répondit : "La peinture n'est pas destinée à décorer les appartements. C'est une arme offensive et défensive contre l'ennemi." Guernica a été commandé à Picasso pour le pavillon espagnol de l'Exposition Internationale de Paris de 1937, alors que les troupes du futur dictateur n'avaient pas encore renversé le Gouvernement légitime.
Picasso a surveillé le tableau toute sa vie durant. Il n'a autorisé son acquisition par l'Espagne qu'une fois rétablies les libertés démocratiques. Son arrivée à l'aéroport de Madrid, en 1981, a été entourée des soins qu'on apporte aux visites de chefs d'État.
Cette grande fresque a été peinte en noir et blanc, en rappel des clichés de Guernica diffusés dans la presse à la suite des bombardements. Comme un témoignage sur l'horreur de la Guerre Civile espagnole et une prémonition de ce que serait la Deuxième Guerre Mondiale...
La peinture, qui ne fait pas d'allusion directe au bombardement, est un plaidoyer contre la barbarie, une œuvre pacifiste. Guernica évoque toutes les guerres, passées et à venir. C'est une icône culturelle qui délivre un message à l'humanité. Aujourd'hui, Guernica est une référence lorsque l'on parle de génocide, du Salvador au Rwanda. Une copie est accrochée au siège de l'ONU à New York.
Il faut aller voir Guernica au Reine Sophie. C'est un magnifique tableau, bien sûr. Mais plus, la rencontre avec cette œuvre historique est un moment de rare émotion. Elle est monumentale (27 mètres carrés), sa sobriété chromatique accentue l'expressivité des sujets. Sa composition, une trame narrative claire, accentue l'intensité dramatique de chacune des scènes. Guernica absorbe qui s'y consacre.
Allez-y tôt le matin ou avant la fermeture du musée. Parce que la toile la plus connue de Picasso est aussi une vedette...